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Les Ruines psychiques
Pour conserver la vie et aménager l’angoisse de dépérir, l’homme construit l’avenir sur les ruines de son histoire. Il n’a pas besoin de s’obliger à se retourner de temps en temps pour savoir d’où il vient et ce qu’il a vécu. Car les vestiges présents dans le chemin, dans les cicatrices de l’urbanisme et dans les rides et les hématomes de l’architecture lui rappellent constamment les événements cruciaux du passé. Une série de déchets se produit inévitablement et, comme le dit Lacan, « tout ce que fait l’homme finit toujours dans le déchet, n’est-ce pas ? Mais une seule chose garde une petite dignité, c’est les ruines » (Lacan, Les Non-dupes-errent, séance du 9 avril 1974).
Lacan a raison, dans la mesure où ces déchets dignes, ces décombres avec valeur, que nous appelons du terme de ruines psychiques, s’inscrivent comme des vestiges de la vie en faisant fonction de fondations pour de nouvelles constructions. Ce sont pourtant justement ces traces ineffaçables du corps profond qui apportent au sujet l’énergie, les repères et le savoir faire pour fabriquer une nouvelle réalité avec ses rêves. C’est ce que nous appelons du terme de réveloppement, le réveloppement des ruines psychiques.
Car, bien plus que prémonitoires ou anticipatoires, les rêves sont rétroactifs, rétrodirigés vers le temps inconsciemment vécu ou oublié. Les rêves s’assemblent avec les ruines du temps, lesquelles envahissent comme aquarelles patinées le vécu actuel dont une nouvelle réalité peut voir le jour en fonction de cette connexion vitale. Il faut du temps pour que l’être naisse « de la faille que produit l’étant de se dire » (Lacan, Radiophonie, 1975, p. 78), de la faille que produit le sujet en traversant des carrefours, des impasses, des passerelles, des étages, des tunnels, des montagnes en verre, des fleuves en métal, des océans en pierre.
Les ruines psychiques constituent les monuments sensoriels, les restes émotionnels et les empreintes affectives de notre histoire. Elles représentent les éléments irréductibles de tout processus de deuil. Plus précisément, les ruines psychiques se définissent comme les traces irréductibles du deuil impossible de nous-mêmes.
Ce que l’on appelle le progrès dépend intrinsèquement de ce que l’homme est bien obligé de conserver, à commencer par sa propre vie. Le désir sexuel, le désir d’amour, le désir de filiation, le désir d’amitié, dès qu’ils pointent, exigent progrès dans la conservation. Pour cela, il n’y a pas de progrès humain sans désir conservateur. Il n’y a pas d’homme sans création de ruines.
Les textes ici présents, de psychanalystes, psychiatres ou psychologues érudits, apportent avec lucidité et relief les arguments nécessaires pour formaliser notre nouveau concept des ruines psychiques.
Jouissance identitaire dans la civilisation
Ce livre est le premier d’une série de volumes résultant d’une recherche commencée au lendemain des attentats terroristes du vendredi 13 novembre 2015, à Paris. Ces événements ont permis à German Arce Ross de s’interroger sur la jouissance identitaire de notre temps.
Que peut dire la psychanalyse à propos du terrorisme islamiste ? En quoi ces attentats constituent l’expression d’une nouvelle psychopathologie ? Comment peut-on définir la jouissance à la base de la radicalisation identitaire si étendue de nos jours ? Pourquoi devons-nous identifier et étudier les liens entre terrorisme islamiste, extrême droite et genrisme ? Quel serait le rapport entre archéogénétique, sexualité anomique et jouissance identitaire ? Comment caractériser les processus de radicalisation islamiste, ou de radicalisation identitaire de façon générale, dans le cas de suicides publics parfois précédés de crimes de masse ?
Les questions auxquelles German Arce Ross veut répondre lui permettent de développer une série de concepts nouveaux tels que troubles de civilisation, normes sociétales, sexualité anomique, facteurs rouges, séparation des sexes, suicide identitaire et schizoidentité.
La Fuite des événements, 2ème édition
Le présent volume est la suite logique d’un premier travail, publié fin 2009, qui a comme titre Manie, mélancolie et facteurs blancs (Beauchesne, Paris).
Il s’y agissait de situer, dans l’histoire psychiatrique et psychanalytique de la mélancolie et de la manie, les éléments nécessaires pour fonder une nouvelle théorie sur les facteurs de déclenchement du délire aussi bien que sur ses liens avec l’acte suicidaire. Et, partant de ces observations, naît le concept des facteurs blancs, théorie que nous allons développer maintenant en l’appliquant à l’étude approfondie de plusieurs cas cliniques, ce qui nous permettra notamment d’isoler un processus psychique, qui précède parfois l’acte criminel ou suicidaire maniaco-dépressif, et que nous appellerons du terme de fuite des événements.
Nous voulons notamment nous intéresser à l’étude, non pas de l’acte suicidaire lui-même, mais plutôt des processus psychiques qui le précèdent et qui se trouvent présents chez le sujet dans le temps qui existe entre la décision et l’acte. La psychopathologie classique peut-elle nous permettre de penser et d’étudier ces questions ? Ou devons-nous nous affranchir de ses limites, tout en partant néanmoins de ses acquis, pour créer une autre version de la psychopathologie des états maniaco-dépressifs à partir des changements observées dans la clinique ? Pour plusieurs raisons phénoménologiques, sociales, anthropologiques, cliniques et conceptuelles, nous croyons au bien-fondé de cette deuxième perspective. Plus précisément, l’une de ces raisons tient à ce que notre propre théorisation (forclusion maniaque, facteurs blancs, délire de mort) et notre propre clinique (qui recueille des données actuelles de la souffrance maniaco-dépressive et bipolaire) nous apprend sur ces questions.
Toute une psychopathologie, aussi bien classique et freudienne (des psychoses, des névroses et des perversions) que moderne et post-freudienne (les états borderline, les organisations narcissiques, les pathologies de l’agir, etc.), a pu exister en prenant en compte uniquement ces trois moyens d’expression : le délire, l’hallucination et le passage à l’acte. Aujourd’hui cependant, nous voulons établir un autre point de vue sur les psychoses. Autrement dit, nous partons ainsi du fait que la division de la psychopathologie en trois modes d’expression psychopathologique, soit délire, hallucination et passage à l’acte, ne suffit pas à rendre compte du passage concret entre processus psychique pathologique et acte criminel ou acte suicidaire. Il y a bien un quatrième maillon de la chaîne qu’il s’agit de déterminer, de décrire et de conceptualiser ici.
Si, dans la clinique actuelle, on peut observer une quatrième manifestation psychologique, c’est qu’il y a des sujets qui n’ont pas de délire, qui ne développent pas d’hallucination et qui ne commettent pas de passages à l’acte caractérisés mais qui ont de grandes difficultés dans leur relation aux autres. En effet, dans la prise en compte de certains moments qui précèdent un acte suicidaire ou criminel, dans le cas d’épisodes critiques non-délirants, non-hallucinés et non-actés mais assimilés parfois à des moments psychotiques ou crépusculaires, où l’on observe notamment une discontinuité ou une rupture radicales quoique momentanées dans le lien à l’Autre, on peut observer qu’il y a des choses, des faits, des événements qui arrivent au sujet sans qu’il puisse les décider ou les contrôler. Plus précisément, dans ces événements inter-subjectifs incontrôlés, ce dont souffre le sujet c’est d’une tendance à subir les actes qu’il fait lui-même accomplir aux autres. C’est ainsi que la quatrième manifestation psychopathologique possible peut-être entendue comme une série d’événements inter-subjectifs qui s’enchaînent dans une suite, ou dans une fuite métonymique, hors du contrôle du sujet.
Manie, mélancolie et facteurs blancs
Cet ouvrage de 400 pages, résultat d’une recherche théorique et clinique de plus de quinze ans, propose un regard nouveau sur la clinique de la psychose maniaco-dépressive, en apportant des notions originales concernant le déclenchement et l’évolution du délire à l’œuvre dans cette pathologie ainsi que les aspects essentiels de son étiologie. Nous pouvons désormais nous référer à des termes nouveaux : forclusion maniaque (forclusion à caractère altruiste d’un aspect mortel de la fonction paternelle, dont l’acte suicidaire est le point de perspective) ; délire de mort, défini comme l’ensemble délirant propre à la psychose maniaco-dépressive ; facteurs blancs, pivot d’une théorie originale sur le déclenchement.
Les facteurs blancs réactualisent la valeur vide et suicidaire de la forclusion maniaque du Nom-du-Père et sont impliqués dans le déclenchement. Partant de situations négatives — pertes, ruptures, deuils, ruines financières ou modifications radicales des conditions habituelles de vie —, ils représentent des événements à valeur de nuisance qui demeurent pourtant vides de toute valeur de nuisance. Ils produisent des espaces vides dans le déroulement de la chaîne signifiante, laquelle est censée représenter un à un, de manière enchaînée et selon une logique propre, les événements cruciaux d’une vie.
Ce livre est destiné aux praticiens (psychiatres, psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes), aux chercheurs (enseignants, érudits, étudiants) en psychopathologie, ainsi qu’aux patients et aux familles confrontés aux questions et aux problématiques posées par les troubles bipolaires maniaco-dépressifs, les mélancolies anxieuses, les tendances suicidaires, les deuils pathologiques et, dans une certaine mesure, les troubles de l’alimentation.
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